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J'ai dansé sur les flots
15 février 2012

Esprits chagrins

Chacun fait son cheval de bataille de la cause qui lui chante. Chacun enfourche son fidèle destrier pour aller pourfendre, d’une plume assassine, les fourbes ennemis qu’il s’est inventés. En écriture, la liberté est maîtresse. Certes. Seulement voilà. Pas toujours. C’est plutôt que chacun est libre de s’affirmer piètre écrivaillon ou littérateur engagé et citoyen. Il y a une hiérarchie. La voie royale, qui mènera loin, la sainte parole qu’il est de bon ton de prêcher. Le genre littérateur humanitaire, triste sire à ses heures, vous apportera un lectorat de choix et le respect de la critique « pessimiste-tête dans le four». Et puis il y a les autres. Les autres, oui, ces piètres petites plumes qui ont l’immense tort de parfois voir un rayon de soleil ici ou là. Ces petits esprits étroits qui osent regarder les beautés du monde et s’en émerveiller, qui osent avoir envie d’être heureux. Être heureux, par les temps qui courent, c’est insultant. On ne cesse de vous l’affirmer, haut et fort, partout, fièrement : être heureux, vouloir être heureux, envisager, seulement de loin, d’être heureux, c’est incompatible avec « le monde tel qu’il va ». Parce que « le monde tel qu’il va », quand on est un être sensible, émotif, talentueux, on ne peut que se désespérer à le regarder. « Le monde tel qu’il va » est maussade comme une campagne présidentielle, pourri comme le compte en banque des politiciens, sanglant comme la Syrie. Voilà. Le monde n’est que cela. C’est sûr, avec un monde noir-gris-rouge, difficile d’être optimiste. C’est de l’inconscience. De la naïveté. Une légèreté insoutenable ( !). Qualificatifs ne correspondant pas à l’image du littérateur sensible et concerné par le monde qui sied à tout bon écrivain.

« Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu’à en trouver la formule. Tout est prêt. Les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir ? » Léo Ferré, Préface, 1973.

Alors quoi ? Le désespoir a finalement trouvé sa formule ?  Il est commercialisable ? Il se vend bien ?

Aujourd’hui, le désespoir, c’est vendeur. Le style « poète maudit », c’est séduisant. « No futur » garantit à tout bon littérateur un lectorat fidèle avide de tristesse. Ce n’est plus un état d’esprit, un mal-être passager dont on souffre et dont on voudrait bien, de temps en temps, se débarrasser, histoire de moins voir noir. Aujourd’hui, le style « poète maudit », c’est une posture, un argument de vente, un statut social. Le désespoir s’affiche en profil sur Facebook. Le désespoir se colle sur les couvertures, juste à côté de l’étiquette du prix. Souvent aujourd’hui, le désespoir est une imposture.

Je ne veux pas être de ceux-là, ceux qui vous collent sous le nez un soldat ensanglanté dès votre premier sourire, ceux qui vous écrasent avec la misère à deux pas de chez nous, ceux qui vous musèlent avec l’esclavage, le harcèlement, la violence sexuelle, les tsunamis, les mines anti-personnel, aussitôt que vous ouvrez les yeux. Je ne suis pas non plus aveugle et inconsciente. Je sais. La douleur au plus profond de sa chair, la violence gratuite parce qu’on a commis le crime de naître une femme, l’effroi des prisonniers dans de sombres caves oubliées, l’épouvante dans le regard des enfants quand les bombes explosent, le dénuement juste devant nos portes, je n’oublie pas.

Justement. Au nom de toutes ces peurs, au nom de cette douleur qui n’en finit pas d’obscurcir les nuits, au nom de ces souffrances sans nom, je ne veux pas être triste. Je veux espérer, me raccrocher à tout, à chaque main tendue, à chaque initiative pour repousser un peu les nuages. Au nom de tous ceux qui souffrent, moi qui vis dans le confort rassurant d’une petite démocratie occidentale, je me dois de porter un peu de lumière sur ce monde qui a déjà son lot de cauchemars. Ce n’est plus le moment d’être triste. Retroussons-nous les manches et redonnons à la vie ses couleurs.

Qu’on ne s’y trompe pas. Je ne prône pas une littérature rose bonbon où tout va bien, je ne souhaite pas le règne de bisounours de papier. Je souhaite juste que chacun puisse écrire ce qu’il veut, sans cette censure moderne de bien-pensants. Je souhaite pouvoir écrire le coucher du soleil, mes pas sur le sable, je souhaite pouvoir raconter les yeux de mon bébé qui s’émerveillent devant la danse de mes doigts, tout comme je souhaite dire mes peurs d’enfant encore tapies dans l’ombre. Tout cela s’en être taxée d’idéaliste mielleuse, de naïve aveugle aux malheurs du monde, d’innocente imbécile. Librement. Enfin.

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