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J'ai dansé sur les flots
3 février 2012

Enfant

D’abord, on a des certitudes… On affirme haut et fort, que non, ce n’est pas pour nous, les enfants, que jamais, au grand jamais, on ne s’est imaginé parent, que la seule pensée qu’un petit être puisse vous appeler « maman », ça vous fait trembler d’effroi. On l’affirme tellement fort, tellement à tout le monde, même à ceux qui, au fond, s’en fichent un peu, qu’on n’ait pas envie de procréer, que ça paraît louche. Mais on est sûr de soi –pour une fois.

Quand on va au supermarché, les petits dans les chariots qui gazouillent devant les jouets, ça nous donne la chair de poule. Pendant les vacances, à la mer, les petits qui construisent des châteaux improbables pendant que les parents attendent derrière, la serviette dans une main, l’appareil photo dans l’autre, ça nous glace le sang. En voiture, les farandoles des sièges-auto et des autocollants « bébé à bord », ça nous donne la migraine. A Noël, on garde sa maison tristement sans décor, sobre et sombre, froide comme l’hiver, et on s’enorgueillit de cette tristesse pendant que chez les autres, les sapins poussent comme dans une plantation forestière et les décorations flamboient. A 16h30, quand on passe devant une école, quand vraiment on n’a pas pu faire autrement, on détourne la tête. Enfant, ça raisonne : nuit bousculée, intimité enterrée, silhouette détériorée, temps libre envolé.

Quand arrive l’âge où le ventre des copines s’arrondit, on boude. On se sent abandonnée, on se réfugie derrière des raisons profondes et psychologiques liées à la petite enfance, on est agacée quand elles nous parlent de la poussette fraichement achetée et des nausées nocturnes. On envisage même de se fâcher, pour toujours, pour avoir la paix, enfin, pour vivre tranquille avec nos certitudes infanticides. Et puis bon, quand même, ce sont nos copines, alors on va les voir à la maternité, on prend même des photos, pas trop mal, pour voir qu’on est dégoûtée.

On découvre toute une littérature anti-enfant et on la parcourt avec délectation. On joue les écolos convaincus, ben oui, on est déjà bien assez nombreux sur cette terre, on ne va pas en rajouter, on a le sens du sacrifice, on est citoyen du monde, on est écolo-responsable, au moins si le monde explose, on aura fait un effort pour l’empêcher ! On joue un peu aussi les désespérés, rien de beau à voir dans ce monde, rien à partager, quel monde offrir à nos enfants ? A quoi bon donner la vie, pour montrer toute cette misère, cette piètre humanité, ces injustices crasses et ces sociétés corrompues ?

Quelque chose sonne faux en nous…

D’abord il y a tout ça, et puis il y a cette peur tapie dans l’ombre, cette tentative désespérée de rester accrochée à l’enfance, à l’innocence, à l’irresponsabilité, à la jeunesse. Parce qu’on croit qu’on est jeune tant qu’on peut faire la grasse mat’ les dimanches, tant qu’on ne pense qu’au prochain livre qu’on va lire, tant qu’on rêve de devenir un héros. Il y a tout ça, et puis il y a cette petite fille blessée qui regarde en pleurant sa mère, qui voudrait juste un peu d’amour, un regard tendre, une main tendue pour une caresse. Cette petite fille blessée qui ne s’est jamais bien consolée, parce que sa mère aimait une fille idéale qu’elle n’a jamais été. Cette petite fille blessée qui pleure d’avoir dû consoler le chagrin d’une autre, d’une grande, de cette maman qui n’allait pas bien…

D’abord il y a tout ça.

Et puis voilà… On va jouer toute sa vie à consoler une petite fille cachée ? On va faire semblant toute sa vie de trouver que la vie ne vaut pas la peine ? On va s’encrasser dans nos inquiétudes, devenir poussiéreuse et triste à force de faire semblant de croire à des choses qui ne nous convainquent pas vraiment ?

Et puis il y a la vie, et puis il y a l’amour.

Il y a ce soleil qui nous brûle les yeux, et ces montagnes, et ces océans, que toute notre vie ne suffira pas à découvrir. Il y a cette pluie fine qui fait ressembler les villes à un décor de films. Il y a ces orages des soirs d’été, ces éclairs qui zèbrent le ciel. Il y a cette neige qui efface les couleurs du monde, il y a ces feuilles sèches, à l’automne, qui crissent sous les pas. Il y a ces oiseaux qu’on ne voit pas et qui charment nos oreilles, il y a ceux qu’on voit et qui nous éblouissent. Il y a la fourrure des chats, la crinière des chevaux, la truffe humide des chiens… Il y a le parfum des épices et le goût du chocolat chaud… Il y a cette vie à partager.

Il y a l’amour, il y a sa main dans la mienne, qui n’a pas faibli depuis le début, il y a la foi qu’il a en moi, son épaule pour m’y blottir et ses doigts forts qui me retiennent. Il y a son rire qui répond au mien, sa voix au téléphone qui me fait sourire, il y a ce qu’il a su me donner et ce goût du bonheur qu’on aime partager.

Alors voilà, il y a tout ça.

J’ai eu 30 ans, j’ai eu un enfant. Je lui fais cadeau de ce monde de toutes les couleurs, et si tout n’est pas beau au premier regard, c’est parce qu’il faut être curieux et aller chercher ailleurs.

J’ai eu un enfant, nous nous sommes choisis, et quand on a posé son petit corps fragile contre le mien, tout le désespoir du monde s’est éteint en silence. Quand sa main minuscule a serré mon doigt, toute la tristesse du monde est partie en courant. Quand son regard hésitant s’est perdu dans mes yeux, toutes les certitudes désabusées du monde se sont évanouies.

 

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